8 décembre 1993: de 0-3 à 5-3, Anderlecht s'effondre au Werder Brëme
Il y a 25 ans, le 8 décembre 1993, le RSCA s’écroulait dans l’enfer du Weserstadion en LIgue des Champions. Évocation de la remontada historique, subie par le grand Anderlecht de Boskamp : "De rage, De Wilde avait cassé une bouteille en verre."
- Publié le 08-12-2018 à 15h27
- Mis à jour le 08-12-2018 à 15h56
Il y a 25 ans, le 8 décembre 1993, le RSCA s’écroulait dans l’enfer du Weserstadion en LIgue des Champions. Évocation de la remontada historique, subie par le grand Anderlecht de Boskamp : "De rage, De Wilde avait cassé une bouteille en verre."Il doit avoir été 21h35, le 8 décembre 1993, quand Pierre Kompany éteint la télévision à la mi-temps de Brême - Anderlecht. "Allez Vincent. Comme promis, tu vas au lit maintenant." Le petit Vincent, 7 ans et demi et pas encore inscrit au RSCA, obéit. Son club favori mène 0-3 en Ligue des champions. Il s’endormira avec un large sourire.
Son réveil sera moins agréable. "Tu ne me croiras jamais, Vincent. Mais Anderlecht a finalement perdu 5-3", lui dit Pierre pendant le petit-déjeuner. Le petit Kompany soupçonne son papa de lui faire une mauvaise blague. Eh bien non. Brême - Anderlecht est le match le plus surréaliste de l’histoire européenne d’Anderlecht. Voilà jour pour jour 25 ans qu’il a eu lieu. Une reconstitution.
Décembre 1993. Tout roule pour Anderlecht en ce début de saison. Le Sporting est leader avec quatre points d’avance sur Bruges (il vient de battre Gand 2-1) et a fait trembler le grand Milan AC de Papin et Laudrup dans son premier match de Ligue des champions. Surtout, Philip Haagdoren en a fait voir de toutes les couleurs au grand Maldini sur la piste de glace du Stade Vanden Stock, mais le Sporting ne marque pas (0-0).
Le Weserstadion de Brême , le 8 décembre. Il pleut des cordes et une tempête secoue l’Europe de l’Ouest. La ville portuaire est inondée, mais les supporters d’Anderlecht assistent à un spectacle de rêve en première mi-temps. Philippe Albert inscrit le 0-1 sur un ballon repoussé par le gardien Reck, Boffin dépose le ballon dans le coin gauche de Reck après un tir dévié de Haagdoren (0-2), et ce même Boffin trompe une troisième fois le gardien allemand via un formidable tir brossé des 25 mètres (0-3).
Boffin soupire quand on l’appelle à propos de ce match mémorable. "Cela fait déjà 25 ans ? Le temps passe vite… Surtout, mon second but était un des plus beaux de ma carrière. J’avais vraiment déposé le cuir où je voulais. Ce but aurait dû être l’apothéose d’une belle soirée. On menait 0-3 à Brême. Sans Degryse, qui était blessé. Et Nilis, à moitié blessé, était sur le banc. Hélas !, on se souviendra de ce match pour une autre raison que pour mes buts."
À la mi-temps, les joueurs sont acclamés par les quelques milliers de supporters d’Anderlecht, casés dans un bloc au-dessus du tunnel des joueurs. "En rentrant au vestiaire, on les applaudissait et on faisait des gestes de victoire comme si on avait déjà gagné", se souvient Crasson. "Personne ne pensait qu’on se ferait remonter. Il n’y avait qu’une équipe sur le terrain, en première mi-temps."
Dans le vestiaire, l’euphorie est perceptible. Boffin : "La prime de victoire était de 600 000 francs belges, soit 15 000 euros, si je me souviens bien. Je crois que Guy Marchoul avait dit tout haut qu’on avait déjà touché le pactole."
Même pendant le premier quart d’heure de la seconde mi-temps, Anderlecht domine Brême. "Je crois que c’était la meilleure heure de jeu de l’histoire européenne d’Anderlecht", exagère Boskamp. Les journalistes, eux, se frottent les mains. Leur article est prêt à 90 %. Et Constant Vanden Stock rêve à nouveau de la finale de la Ligue des champions, qu’il n’a jamais atteinte. Les numéros un et deux de la poule se qualifient automatiquement pour les demi-finales de la C1.
Mais à la 66e, le calvaire commence. Tout d’abord quand Rufer profite d’un malentendu entre De Wilde et Rutjes (1-3). Un peu plus tard, De Wilde se troue totalement sur un ballon aérien (2-3). En un rien de temps, l’équipe s’écroule comme un château de cartes. Trempé comme un canard, Boskamp n’en croit pas ses yeux depuis son banc non couvert. "Le terrain marécageux était à l’avantage des Allemands, qui étaient beaucoup plus physiques", explique le triple champion de Belgique. "Nous jouions avec presque tous des poids plumes."
Sur le 3-3, trois Allemands se trouvent seuls dans le petit rectangle d’Anderlecht. C’est Hobsch qui trompe le pauvre De Wilde de la tête. Les supporters d’Anderlecht se cachent le visage. Jamais, ils n’avaient vu leur équipe être malmenée de cette façon. Les journalistes, eux, activent leurs touches ALT -DELETE : ils peuvent recommencer tout leur article.
Quand Bode fusille De Wilde à bout portant après un tacle de Philippe Albert (4-3), le naufrage est total. Et pourtant, Nilis, monté au jeu, est à deux poils d’égaliser, mais son formidable tir brossé est sauvé par Reck. En fin de match, De Wilde rate une passe vers Emmers, le même Rufer fixe le score à 5-3. En 23 minutes, le portier d’Anderlecht a dû se retourner cinq fois.
De Wilde pète un plomb en rentrant au vestiaire. "Je me souviens qu’il a cassé une bouteille en verre", sourit De Wilde. Après sa douche, il avoue aux journalistes qu’il était coupable sur quelques buts.
Vingt-cinq ans plus tard, c’est contre son goût que De Wilde évoque cette triste soirée. "Pourquoi est-ce que vous ne m’avez pas appelé il y a trois semaines ? On aurait pu parler de la qualification de la Belgique pour le Mondial 1994 contre la RTS, la République tchèque et slovaque, quand j’avais tout arrêté. C’était un plus bel anniversaire."
Mais finalement, il a quand même fait un effort. "La première mi-temps était top. Aussi de ma part. J’ai peut-être commis la connerie de me sentir trop fort. Je n’aurais pas dû sortir sur ce deuxième but de Brême. Mais je ne plaide coupable que sur deux buts : le deuxième et le cinquième. J’ai commis la faute de prendre toute la responsabilité sur moi. Le reste de l’équipe a aussi paniqué. Je me demande si ce match ne m’a pas coûté le Soulier d’or (De Bilde l’a remporté en 1994)."
Selon la légende, De Wilde aurait perdu plus de cinq kilos dans les jours après le match, suite à des problèmes intestinaux provoqués par l’affront de Brême. De Wilde : "C’est faux. J’avais juste suivi un régime avec plus de fruits et légumes pour devenir encore meilleur."
Pendant les interviews des joueurs, le bloc réservé aux supporters anderlechtois se vide. Mais quelques fans sont trop assommés pour rejoindre leur car. Un d’eux est Johan. "Des amis ont dû venir me chercher, une heure après le match", dit-il. "J’étais K.-O. à cause de ce qui s’était passé. J’étais trempé jusqu’aux os, mais ce qui était beaucoup plus grave, était la façon dont nous avions perdu. Le chauffeur du car avait prévu six bacs de bière pour le retour. Je crois qu’on a bu six bières en tout."
L’équipe passe la nuit à Brême. Dans l’hôtel, les joueurs sont attendus pour un repas. Mais toute la délégation a un nœud dans l’estomac. Boffin. "Sauf une personne, notre physiothérapeute. Il avait visiblement faim de la soirée passée dans la pluie, parce qu’il n’arrêtait pas de remplir son assiette avec des frites. À un certain moment, Boskamp en avait ras-le-bol. Il s’est fâché parce que le gars avait de l’appétit, malgré la défaite."
La nuit est courte , et la plupart des joueurs passent une nuit blanche. "Moi, j’ai mal dormi, mais pas à cause de la défaite", déclarait Philippe Albert dans une interview à La DH en 2004. "Mon compagnon de chambre, Pär Zetterberg, avait ronflé."
Le lendemain, Constant Vanden Stock va trouver Johan Boskamp pendant le vol retour. Son message à Boskamp : "Retiens la première heure de jeu, qui était formidable." Boskamp par après : "Ces quelques mots illustraient le président Constant Vanden Stock : un très grand monsieur."
Sortis de l’avion à Zaventem, les joueurs attendent le bus qui doit les amener au bâtiment de l’aéroport. Un membre du personnel de l’aéroport - sans doute un supporter d’un autre club belge - lance une remarque déplacée du genre : "Alors, les gars, on rentre avec les valises pleines de buts ?" Crasson : "La plupart des joueurs ne prêtaient pas attention à ce que ce gars disait, mais Philippe Albert l’avait mauvaise. On a dû le retenir. (Rires)"
En Ligue des champions, Anderlecht ne s’est pas remis du cauchemar de Brême, malgré une victoire contre Porto. En championnat, les deux matchs après Brême se sont soldés sur des nuls (1-1 au Cercle et 0-0 à l’Antwerp). Mais ensuite, la machine de Boskamp s’est remise en marche, et Anderlecht a gagné le titre et la Coupe.
Eh oui. Il fut un temps où Anderlecht était un grand club. Un très grand club…
Pour l’anecdote, la chaîne Eurosport a retransmis le match en intégralité, dix ans plus tard. De Wilde : "J’ai regardé l’entièreté du match. Et j’ai conclu que j’avais bien joué, hormis sur deux buts. Non, ce n’était pas le pire souvenir de ma carrière. C’était Belgique - Turquie à l’Euro 2000, où j’étais coupable de l’élimination." Zetterberg, lui, n’a pas eu le courage de revoir tout le match. "J’ai éteint ma télévision après 65 minutes. J’avais vu le meilleur football de l’histoire d’Anderlecht ? Je ne voulais pas me torturer en regardant 25 minutes de notre pire football…"
- Brême - RSCA 5-3
- Werder Brême : Reck, Bratseth, Beiersdorfer, Borowka, Basler (87e Wiedener), Votava, Herzog (46e Wolter), Eilts, Bode, Hobsch, Rufer.
- Anderlecht : De Wilde, Crasson, Rutjes, Emmers, Albert, Versavel, Walem, Boffin, Zetterberg (83e Kooiman), Haagdoren, Bosman (70e Nilis).
- Les buts : 16e Albet (0-1), 18e Boffin (0-2), 33e Boffin (0-3), 66e Rufer (1-3), 72e Bratseth (2-3), 80e Hobsch (3-3), 83e Bode (4-3), 89e Rufer (5-3).